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Couché sous tes ombrages verts, Gastine, je te chante Autant que les Grecs par leurs vers La forêt d'Erymanthe. Car, malin, celer je ne puis A la race future De combien obligé je suis A ta belle verdure. Toi qui, sous l'abri de tes bois, Ravi d'esprit m'amuses ; Toi qui fais qu'à toutes les fois Me répondent les Muses ; |
Toi par qui de ce méchant soin Tout franc je me délivre, Lorsqu'en toi je me perds bien loin Parlant avec un livre. Tes bocages soient toujours pleins D'amoureuses brigades De Satyres et de Sylvains, La craine des Naïades ! En toi habite désormais Des Muses le collège, Et ton bois ne sente jamais La flamme sacrilège ! | ||
- Odes II, 15 - |
Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle, Assise auprès du feu, dévidant et filant, Direz, chantant mes vers, en vous émerveillant : Ronsard me célébrait du temps que j'étais belle. Lors vous n'aurez servante oyant telle nouvelle, Déjà sous le labeur à demi sommeillant, Qui au bruit de mon nom ne s'aille réveillant, Bénissant votre nom de louange immortelle. Je serai sous la terre et, fantôme sans os, Par les ombres myrteux je prendrai mon repos ; Vous serez au foyer une vieille accroupie, Regrettant mon amour et votre fier dédain. Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demain ; Cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie. | ||
- Sonnets pour Hélène II, 43 - |
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Écoute bûcheron, arrête un peu le bras ; Ce ne sont pas des bois que tu jettes à bas ; Ne vois-tu pas le sang lequel dégoutte à force Des nymphes qui vivaient dessous la dure écorce ? Sacrilège meurtrier, si on pend un voleur Pour piller un butin de bien peu de valeur, Combien de feux, de fers, de morts et de détresses Mérites-tu, méchant, pour tuer nos déesses ? Forêt, haute maison des oiseaux bocagers ! Plus le cerf solitaire et les chevreuils légers Ne paîtront sous ton ombre, et ta verte crinière Plus du soleil d'été ne rompra la lumière. Plus l'amoureux pasteur sur un tronc adossé, Enflant son flageolet à quatre trous percé, Son mâtin à ses pieds, à son flanc la houlette, Ne dira plus l'ardeur de sa belle Janette. Tout deviendra muet, Écho sera sans voix ; Tu deviendras campagne, et, en lieu de tes bois, Dont l'ombrage incertain lentement se remue, Tu sentiras le soc, le coutre et la charrue ; Tu perdras le silence, et haletants d'effroi Ni Satyres ni Pans ne viendront plus chez toi. Adieu, vieille forêt, le jouet de Zéphire, Où premier j'accordai les langues de ma lyre, Où premier j'entendis les flèches résonner D'Apollon, qui me vint tout le coeur étonner, Où premier, admirant ma belle Calliope, Je devins amoureux de sa neuvaine trope, Quand sa main sur le front cent roses me jeta. Et de son propre lait Euterpe m'allaita. Adieu, vieille forêt, adieu têtes sacrées, De tableaux et de fleurs autrefois honorées. Maintenant le dédain des passants altérés Qui, brûlés en l'été des rayons éthérés, Sans plus trouver le frais de tes douces verdures, Accusent tes meurtriers et leur disent injures. Adieu, chênes, couronne aux vaillants citoyens. Arbres de Jupiter, germes Dodonéens, Qui premiers aux humains donnâtes à repaître ; Peuples vraiment ingrats, qui n'ont su reconnaître Les biens reçus de vous, peuples vraiment grossiers De massacrer ainsi leurs pères nourriciers ! Que l'homme est malheureux qui au monde se fie ! Ô dieux, que véritable est la philosophie, Qui dit que toute chose à la fin périra, Et qu'en changeant de forme une autre vêtira ! De Tempé la vallée un jour sera montagne, Et la cime d'Athos une large campagne ; Neptune quelquefois de blé sera couvert ; La matière demeure et la forme se perd. - Élégies, XXIV -
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Contre les bûcherons de la forêt de Gastine
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